RAISON et HISTOIRE

Au commencement une rencontre a eu lieu, la rencontre de Matieu et de Grünewald. Elle a laissé en Matieu les traces d’une expérience constitutive. Le moment venu, suscitera son activité artistique, lui permettant d’intervenir dans les vicissitudes de l’époque et de se manifester durablement dans l’espace public. Le moyen pour la peinture s’ y exprimer, est là.
La peinture de Grünewald, c’est la confrontation avec la précarité du corps, la laideur, la marginalisation, l’exclusion et l’absurdité du délaissement humain dont on découvre assez mal les raisons. Malgré la singularité du regard, de sa conception des motifs, des sujets, des idées, leur enracinement dans ce qu’il a vu à Unterlinden ne se laisse pas supprimer. Entre Grünevald et Matieu il faut mettre en évidence les rapports..
Pour Matieu il n’y a finalement qu’une nécessité : que l’homme soit libre. Sinon, il n’est pas. S’il est vrai que l’idée de liberté implique des principes autant qu’un programme, on peut la définir par le postulat qu’aucun homme n’a jamais de droits à faire valoir sur aucun autre. C’est le reflet de l’esprit préthérmidorien. La figure du citoyen n’est pas morte, des idées oubliées renaissent dans leur toute leur actualité. Condamner Robespierre ? Encore faudrait-il que le procès fût juste. La justice : une idée qui requiert encore nos efforts.

Cette idée ne s’arrête jamais de s’imposer à son esprit, que des hommes libres ne puissent matérialiser leur raison d’être qu’en toute égalité avec les autres. Bien que celle-ci soit fondée ontologiquement n’est souvent considéré que comme forme d’une affirmation assez vaine, ne provoquant que l’horreur. Pour qu’elle se vérifie, il faut une disposition et une volonté de lui céder sa place dans l’imagination, source insaisissable de la créativité, bien cachée dans les profondeurs de l’âme, au moins pour Kant.
Quant à Grünewald, c’est d’abord le rétable d’Isenheim qui fascine. Le visible fait apparaître l’invisible : le nouvel esprit scientifique qui s’y manifeste. Quand l’œuvre voit le jour, des copies d’Alberti circulent dans les ateliers. Le texte  Di pintura  – qui ne sera imprimé qu’en 1540 – plaide pour la nécessité, dorénavant, d’un fondement mathématique des tableaux. L’expérience de l’artisan, son talent, ne suffisent plus. Il faut y ajouter la connaissance des lois de l’optique, de la physiologie de l’oeil, de la construction des objets et des figures, de leur position dans l’espace. Tout un programme.